Le changement climatique s’impose comme une réalité depuis des années. Le secteur du bâtiment sait qu’il est responsable d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre (GES) émises au niveau mondial. Les bâtiments générant près de 39 % des émissions mondiales de carbone, la décarbonation du secteur est l’un des moyens les plus efficaces pour atténuer les effets négatifs du dérèglement climatique. Le secteur de l’environnement bâti a donc un rôle essentiel à jouer pour faire face à l’urgence climatique. Comment relever les défis du carbone incorporé en 2023 ?
L’ensemble du cycle de vie des bâtiments fait aujourd’hui l’objet d’un examen plus approfondi afin de déterminer où les émissions peuvent être réduites. Certaines de ces émissions proviennent de l’exploitation des bâtiments, et nous les connaissons depuis longtemps. Un autre aspect des bâtiments et du changement climatique n’a été remarqué que récemment. Il s’agit du carbone incorporé. Il a longtemps été une partie négligée de l’impact climatique d’un bâtiment. En effet, la plupart des politiques climatiques et initiatives de réduction se concentrent sur les émissions opérationnelles émises lors de l’utilisation même.
Pourquoi prendre en compte le carbone incorporé dans le bâti ?
Qu’est-ce que le carbone incorporé ? En quoi est-il un défi important pour le secteur de l’immobilier et de la construction ? Selon la Commission européenne (2020), le carbone incorporé concerne « les émissions de gaz à effet de serre associées à la phase non opérationnelle d’un projet, à savoir les émissions libérées par l’extraction, la fabrication, le transport, l’assemblage, l’entretien, le remplacement, la déconstruction, la démolition et la fin de vie des matériaux et des systèmes qui composent un bâtiment« . Le carbone incorporé est omniprésent dans le cycle de vie des bâtiments.
Selon Architecture 2030, « à l’échelle mondiale, le carbone incorporé est responsable de 11 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre et de 28 % des émissions du secteur du bâtiment. À mesure que l’efficacité énergétique des opérations augmente, l’impact des émissions de carbone incorporé dans les bâtiments deviendra de plus en plus significatif« . Cela suggère que l’objectif de zéro émission d’ici 2050 n’est pas réalisable sans une action sur le carbone incorporé.
Comment lutter contre le carbone incorporé ?
L’optimisation de l’empreinte carbone d’un bâtiment pendant sa durée de vie implique de trouver un équilibre entre la réduction du carbone incorporé et celle des émissions opérationnelles. Les émissions opérationnelles correspondent à la quantité de carbone émise pendant l’exploitation ou l’utilisation d’un bâtiment. Le carbone incorporé est émis pendant la construction et la rénovation, et ne peut être réduit par la suite. Cela signifie que le carbone incorporé représentera environ 50 % des émissions de l’environnement bâti d’ici 2035.
A contrario, les émissions opérationnelles des bâtiments devraient diminuer en raison de la prise de conscience mondiale croissante du développement durable et du cadre réglementaire actuel, qui pousse les acteurs de l’immobilier à réduire leurs émissions opérationnelles. Cependant, cela nécessite souvent des travaux de rénovation et, par conséquent, l’ajout de carbone incorporé. Or, la population urbaine mondiale devrait augmenter de 2,75 milliards de personnes d’ici à 2060. Une grande partie de l’empreinte carbone de ces nouveaux bâtiments sera sous forme de carbone incorporé (plus de 100 gigatonnes de carbone incorporé estimées). Pour atteindre l’objectif européen net zero d’ici 2050, nous devrons donc prendre des mesures pour réduire cette teneur en en carbone incorporé.
Où en est la réglementation en Europe ?
Jusqu’à présent, la législation de l’UE s’est concentrée sur la réduction des émissions de GES associées à l’énergie utilisée pour chauffer, refroidir et alimenter un bâtiment. Il reste encore beaucoup à faire pour réduire le carbone incorporé. Cet objectif devient donc une priorité pour le secteur immobilier et certains gouvernements en Europe. Les pays dont les exigences en matière d’énergie opérationnelle sont les plus avancées du continent sont également ceux qui cherchent à réglementer le carbone incorporé. Au sein de l’Union européenne, seuls cinq pays – le Danemark, la Finlande, la France, les Pays-Bas et la Suède – ont introduit des réglementations sur les émissions de carbone sur l’ensemble du cycle de vie qui tiennent compte à la fois des émissions opérationnelles et des émissions incorporées.
Par exemple, à partir de janvier 2022, les promoteurs immobiliers suédois doivent respecter la loi sur la divulgation des données climatiques pour les nouveaux bâtiments. Ils doivent calculer les émissions de carbone incorporé des nouveaux bâtiments. Ceci avant de les soumettre au gouvernement pour obtenir le permis de construire final. Ces calculs doivent couvrir les émissions directes, en tenant compte de la fabrication initiale des matériaux et des différentes étapes de construction du cycle de vie d’un bâtiment. Les entreprises qui commencent dès maintenant à mesurer le carbone incorporé dans leurs projets ont plusieurs avantages. Ils amélioreront les compétences de leurs employés, stimuleront un changement de culture dans le secteur et garderont une longueur d’avance sur les réglementations à venir.
Focus sur la RE2020 en France
L’un des meilleurs exemples à ce jour est la RE2020 en France, entrée en vigueur en janvier 2022. Cette réglementation introduit de nouvelles exigences en matière de construction. Elle vise à réduire les émissions des matériaux de construction tout au long du cycle de vie du bâtiment, y compris lors de la démolition. La RE2020 va au-delà de la réduction et de la décarbonation de la consommation d’énergie d’un bâtiment. Elle vise également à promouvoir des matériaux de construction durables et à faible teneur en carbone. C’est une étape importante pour contribuer à l’objectif national de décarbonation de tous les secteurs d’ici 2050 en France.
La RE2020 s’articule autour de trois objectifs :
- La réduction de l’impact carbone des constructions existantes : la RE2020 vise à diminuer de 30% l’indicateur bioclimatique, les besoins énergétiques d’un bâtiment, par rapport à la RT2012.
- La réduction de l’impact carbone des nouvelles constructions : d’ici 2031, le seuil maximal en kgCO2/m2 sera abaissé de plus de 30 % par rapport au niveau de référence actuel.
- Des bâtiments plus adaptés au réchauffement climatique : prise en compte des besoins de rafraîchissement dans les calculs bioclimatiques.
Elle a également défini des seuils de construction pour les différents types de logements à l’horizon 2031.
- Pour les logements individuels, 640 kgCO2eq/m2/an d’émissions de carbone incorporées en 2022 à 415 kgCO2eq/m2/an en 2031.
- Pour les logements collectifs, 740 kgCO2eq/m2/an d’émissions de carbone incorporées en 2022 à 490 kgCO2eq/m2/an en 2031.
Réduire le carbone incorporé dans les nouvelles constructions ou dans les rénovations ?
Le réchauffement climatique nécessite de se concentrer davantage sur le renforcement de la résilience face à des risques climatiques accrus, en particulier en Europe. Pour atteindre l’objectif net zéro, un programme immobilier doit prendre en compte le CO2 émis. Et ceci non seulement lors de l’utilisation des bâtiments (émissions opérationnelles) mais aussi lors de leur construction et de la production des matériaux (émissions incorporées). La prise de conscience environnementale mondiale pousse les acteurs de l’immobilier à réduire leurs émissions opérationnelles. Cette prise de conscience a d’ailleurs conduit à l’émergence de normes, de certifications et de labels environnementaux.
Le bâtiment de demain devra être robuste et attractif pour toutes les parties prenantes : employés, clients, consommateurs, investisseurs et actionnaires. Aujourd’hui, l’offre de bâtiments net zéro est insuffisante pour répondre à la demande. Mais la solution ne réside pas nécessairement dans l’accélération de la construction de ce type de bâtiment, compte tenu de l’empreinte carbone associée à la construction.
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Réduire les émissions globales de CO2 le plus efficacement possible
Quel est le moyen le plus efficace de réduire les émissions globales de CO2 ? Les nouvelles constructions de bâtiments ou la rénovation ? Alors que déjà 80 % du parc immobilier de 2050 a déjà été construit, il est nécessaire de réduire les impacts des émissions liées à l’exploitation en rénovant les bâtiments existants. La réhabilitation des bâtiments existants est donc essentielle pour la transition vers une économie bas carbone. Cependant, le secteur immobilier ne peut rénover que s’il tient compte du carbone incorporé émis lors de ces stratégies de rénovation. En effet, bien que les rénovations réduisent les émissions opérationnelles (lorsqu’elles sont beaucoup trop élevées), elles augmentent les émissions de carbone incorporé. L’indicateur de performance clé intéressant de suivre pour cet équilibre est appelé l’amortization period ou break-even years. C’est le moment où le carbone incorporé ajouté est inférieur aux économies de carbone opérationnel réalisées.
Un nouveau défi pour l’Europe
Le défi européen s’articule autour de deux enjeux :
- continuer à réduire l’empreinte carbone des nouveaux bâtiments d’une part,
- réaliser des travaux à faible teneur en carbone intrinsèque impliquant une forte réduction des émissions opérationnelles afin de réduire les émissions sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments existants.
Le 15 décembre 2021, la Commission européenne a adopté une révision majeure de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) dans le cadre du paquet « Fit for 55« . La DPEB exige des États membres qu’ils réduisent la consommation d’énergie des bâtiments et que tous les nouveaux bâtiments à partir de 2021 (les bâtiments publics à partir de 2019) soient des bâtiments à consommation d’énergie quasi nulle (NZEB). Les mesures proposées tiennent compte, en particulier, de l’augmentation des taux de rénovation, notamment pour les bâtiments les moins efficaces dans chaque État membre. Elles moderniseront le parc immobilier, le rendant plus résistant et plus accessible.
Les révisions de la DPEB se concentraient initialement uniquement sur la performance énergétique, avec des exigences qui ne concernaient que les émissions pendant la phase d’exploitation des bâtiments. Le Bureau européen de l’environnement (BEE) et la Coalition environnementale sur les normes (ECOS) ont plaidé pour davantage de critères. Ils ont appelé à inclure les émissions tout au long du cycle de vie. La proposition de révision de la directive fait désormais référence à l’ensemble du cycle de vie. Les négociations en cours devraient s’achever à l’été 2023. Elles représentent une occasion unique d’élargir la discussion sur la décarbonation des bâtiments et de développer un cadre pratique pour inclure toutes les émissions des bâtiments. Cela pourrait changer la façon dont le carbone incorporé est pris en compte au niveau européen.
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Le carbone incorporé : un levier pour accélérer la décarbonation du secteur
Les régulateurs des différents pays européens ne sont pas sur la même longueur d’onde. Néanmpoins, le les réglementations sur le carbone incorporé connaissent une tendance à la hausse significative en Europe. Les premières mesures prises montrent qu’il est possible et souhaitable d’adopter des politiques en matière de carbone sur l’ensemble du cycle de vie. Une approche ou un cadre commun au niveau de l’UE pourrait favoriser l’adoption généralisée de politiques locales, nationales et régionales ambitieuses qui réduisent le carbone incorporé. Cette incertitude générale et l’absence de directives et de normes mondiales claires ont conduit certains acteurs majeurs de l’industrie à ouvrir la voie en termes d’objectifs de réduction.
La réduction du carbone incorporé dans les bâtiments nécessitent plusieurs aspects importants. Le processus requière des données solides sur les niveaux actuels de ces émissions à différents stades du cycle de vie, sur les types de bâtiments et l’utilisation de l’énergie. C’est là que Deepki peut vous aider. Chez Deepki, nous adoptons une approche systématique pour prendre en compte le carbone. Les réductions de CO2 opérationnelles doivent à terme compenser les émissions de carbone incorporé. Bien que le plus grand potentiel de réduction de l’empreinte carbone se situe dans les premières étapes du processus de construction des bâtiments, les investisseurs et les propriétaires peuvent déjà se concentrer sur les actifs existants.
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